Lysigée s’était complètement embossée, dans la dernière minuscule crique à gauche au fond de la baie de Gemiler Adalari. Il avait porté à terre, à la nage, deux amarres et mouillé une quinzaine de mètres de chaîne. Pas assez d’ailleurs, mais le vent dominant venait de l’arrière et cela devait tenir. Pas de voisins trop proches, seulement un gros yacht à moteur, mais qui ne semblait habité que par l’équipage, sans doute venu mouillé là en attente les ordres du propriétaire. Mouillage tranquille donc.
Et au cours de la nuit, la crise est arrivée. Une douleur au ventre coté droit, de plus en plus forte, à couper le souffle. Légères nausées, un peu de fièvre. Bonne probabilité d’appendicite.
Au matin, après avoir ingurgité une bonne quantité d’analgésiques, la douleur avait diminuée, toujours là, mais en sourdine.
Une ville, un hôpital, Rhodes paraissait un bon choix, surtout que la météo prévoyait un vent pas trop fort et bien orienté de travers. 41 milles en ligne droite quand même à faire.
6 heures, après un café tout de suite rendu aux poissons, désamarrage toujours à la nage, remontée de l’ancre, avec toujours cette douleur qui revenait.
A la sortie de la baie, le vent était à peu près ce qu’avait annoncé la météo. Une fois bout au vent, la grand-voile fut hissée avec un ris par précaution, et le génois déroulé. Au prés bon plein, le cap était pile sur Rhodes.
La douleur s’intensifiait. En s’allongeant en chien de fusil dans le cockpit sur le coté gauche, il semblait que la douleur était moins forte. En allongeant le bras derrière lui, il pouvait atteindre les commandes du pilote pour ajuster de temps en temps le cap en fonction des légères oscillations du vent.
Lysigée filait 6 bons nœuds. Le vent augmentait progressivement et refusait. Au bout d’un heure, Lysigée était au prés serré, et le pilote, dans les surventes, ne pouvant anticiper, faisait faseyer et même parfois déventait le génois. Pour tenir le cap, il aurait fallut barrer et suivre les risées. Impossible avec cette maudite douleur qui ne lui permettait pas de rester droit plus de quelques instants.
Il se résigna à abattre.
Dans la matinée, le vent refusa et commença à faiblir. Lysigée ralentissait. Il dut enlever le ris pour conserver une vitesse suffisante pour arriver avant la nuit.
Lysigée taillait toujours sa route.
Et puis le vent s’amplifia et continua à refuser. De nouveau prise d’un ris dans la grand-voile, puis deux ris dans le génois, puis un autre ris dans la grande, puis un troisième ris dans le génois. Manoeuvres dans la douleur, qui empêche l’esprit de se concentrer, fait faire des petites erreurs, et oblige à recommencer les opérations.
Le vent était maintenant d’environ 30 à 35 noeuds avec de jolies risées, et le cap était à 30 ° du cap initial, quasiment sur Lindos.
Le choix, tirer des bords pour garder Rhodes comme destination, ou continuer sur le même cap, et une fois abrité par la côte, remonter sur Rhodes.
Virer maintenant et effectuer ensuite, toute une série de virement faisait perdre un bon bout de chemin et n’était pas sa tasse de thé, vu son état. Il décida de continuer sur le même cap.
Le vent se renforçait encore et Lysigée avait accéléré, 7 voire 8 noeuds.
En début d’après-midi, depuis 4 heures, il n’avait plus pris d’antalgiques et la douleur avait pratiquement disparue. Il avait maintenant Lindos à 15 milles sous le vent, Rhodes à 20 milles au vent. Rhodes avec son port toujours plein, le mouillage derrière les moulins dans le bassin des paquebots de croisières toujours agité et pas du tout confortable, Lindos avec son mouillage calme et protégé, son acropole du VIIème avant JC entouré par le château des chevaliers de Saint Jean construit 2000 ans plus tard. L’alternative était soit d’aller à Rhodes par la mer, soit y aller depuis Lindos par la terre, délai équivalent, sécurité du trajet meilleure par la terre, sécurité du mouillage, meilleure à Lindos
Va pour Lindos.
Lâcher un ris, abattre de 10, vent par le travers, la mer presque plate près de la côte, Lysigée accéléra encore, sans doute aidée par un courant favorable qui longe la côte, 10 puis 11 nœuds sur le fond, 14 dans les surventes en passant les caps.
Passage à 11 noeuds sous le tombeau du tyran Cleobule, l’un des sept sages de la Grèce. On peut imaginer l’étonnement de 3 voiliers de location, sur la même route, au moteur, en voilant débouler sur leur arrière, deux fois plus vite, un voilier sans barreur avec au dernier moment, une tête qui se soulève du cockpit.
Enrouler le génois, embouquer le passage sous, affaler la grand voile, mouiller dans 8 mètres d’eau au fond de la baie, sous la falaise.
La douleur a disparue, on verra demain pour l’hôpital
La vie est belle.
La suite sera moins drôle.
Else a dit:
In-croy-a-ble! Pour moi qui ai la phobie de l’eau, c’est tout simplement i-ni-ma-gi-nable, mais quand même…Et justement, ce matin, je disais à l’un de me proches, c’est intéressant de voir comme le corps s’adapte aux situations…
tebruc a dit:
D’abord, l’objectif premier de la plaisance c’est de rester « sur » l’eau et non pas dedans. C’est donc parfaitement compatible avec une phobie de l’eau.
Ensuite, le corps s’adapte, c’est vrai, mais trois jours plus tard, il a fallu l’aider en enlevant ce bout d’intestin (dont personne ne sait à quoi il sert), car une troisième crise aurait pu être plus définitive.
Else a dit:
Merci. Je ne voudrais pas vous ennuyer avec mes commentaires, mais ma phobie est telle que je supporte très difficilement la plaisance. J’en ai encore fait l’expérience l’an dernier en Corse. Heureusement, j’étais avec des amis compréhensifs et bienveillants qui me « remontaient le moral »…Parfois, je n’ose rien dire et je suis très malheureuse.
Mon mari qui aimerait voyager comme vous le faites ( c’était son rêve …quand je serai retraité…tralala et tralalère…) s’en empêche car je ne veux pas l’accompagner.
Mais parfois, j’en rêve aussi…
Je vous espère complètement guéri. Bonne route!
Nicolas a dit:
Allons bon !
(courage…)
ADB a dit:
Salut Robert
Beau récit encore. Mais, tu ne dis pas, es-tu seul à bord?
tebruc a dit:
OUi, je navigue en solo
Jitzo a dit:
Bonjour.
Attention à la douleur qui disparait pour mieux revenir !
Moi j’ai eu un problème similaire avec une sciatique qui m’a prise 10 jours avant l’arrivée en Martinique causée par un rouli incessant ( trop de mer pas assez de vent); sédatif violent ( genre drogue en fait, mais médicale) pour tenir; les anti-inflamatoires étaient inéfficaces car « il aurait fallu vous arrêter » m’a dit le toubib…ouais mais j’ai pas trouvé le parking !
2 mois de kiné en Martinique pour remarcher normalement.
La douleur au ventre dans l’aine, violente, qui disparait, cela peut aussi être un calcul. j’ai eu aussi c’est pas drôle du tout. Spasfon et Oroturic pour moi et diverses médecines mais il faut déterminer sa nature pour essayer de l’éliminer si c’est bien cela.
Bon courage.